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Face au grillage arrière du refuge, un petit groupe de chiens, alertés par notre présence, se forme rapidement pour dévisager les intrus. Si la plupart manifestent une curiosité mêlée d'une pointe de territorialité, un grand blanc expriment clairement son animosité. Un de ses congénères de taille plus modeste s'approche et gratte au grillage voyant plutôt en nous de potentiel compagnons de jeu.
Ils nous délaisserons lorsqu'ils percevront l'arrivée d'un couple de joggers.
Nous nous enfonçons à nouveau vers les charbonnières, laissant le refuge derrière nous. Une cavalière perchée sur un hongre gris passe d'un trot décidé, nous salue rapidement et amorce le virage en direction du chenil. Curieuse rencontre de nos relations au domestique où l'un fait corps avec son maitre quand les autres sont laissés de coté comme autant d'encombrants et superflus objets.
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FAILLE
Compagnie T.M.Project
Thierry Micouin / Pauline Boyer

Lauréat de l'appel à projet Corps, Espaces Sensibles
Résidence de création chorégraphique au domaine de Kerguéhennec et dans les espaces naturels sensibles du Morbihan
2018-2019
Initié par le Département du Morbihan, en partenariat avec L’Hermine à Sarzeau Golfe du Morbihan Vannes agglomération, TRIO…S EPCC Hennebont-Inzinzac, le Pôle culturel de Ploërmel Communauté, avec le soutien de la DRAC de Bretagne.
FAILLE est une pièce pour deux danseurs créée en, et pour les espaces naturels sensibles. Elle propose au public une expérience immersive au contact des environnements naturels et nous incorpore dans les mouvements de ces lieux. Du ténu au tonitruant, cette immersion construit notre perception et notre implication dans un milieu pour en dessiner les possibles paysages.


Ce site internet est une extension du temps performatif et donne à écouter la multitude de nos rencontres avec ces environnements à travers une collection de moments.
Réalisées durant les temps de résidence, ces captations sonores composent le matériel depuis lequel s'est construite la composition musicale de la performance. Chacun de ces instants révèle des pratiques, des configurations, une histoire et proposent de nous projeter dans les singularités de ces situations, dans les qualités des lieux arpentés.
Réunis ici, ces micros récits composent la carte fragmentaire de nos traversées et explorations des espaces naturels sensibles du Morbihan. Carte jamais achevée, qui s'augmentera au fur et à mesure de nos nouvelles prospections sur le terrain mais qui esquisse les états du naturels et du sauvage dans ces périmètres préservés.
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Dunes de Kerver
Les Baux de Caulnes
Domaine de Kerguéhennec
Forêt de Trémelin-Etang Ty Mat
LOYAT
BIGNAN
INZINZAC
LOCHRIST
SAINT-GILDAS DE RHUYS
Nous nous sommes surpris un soir avec cette effraie des clochers. Moi remontant de la pièce du parc, elle prête pour son envol du crépuscule. Si mon arrivée soudaine au coin du bâtiment abritant son nid l’a invité à s’envoler dans l’instant, le nez à nez face au masque blanc m’a projeté dans un tableau de Jérôme Bosch.
Par la suite, ce sont les autant les pelotes de réjection, les déjections présentes au pied de cette fenêtre que les chuintements émis de la soupente qui ont indiqué qu’il bien s’agissait ici de son nid.
Les jeunes effraies qui nichent dans la soupente attendent autant le retour de leurs géniteurs que du diner. Sans doute une fratrie de trois individus à écouter les différents sifflements émis depuis leur refuge. Régulièrement au cours de la nuit les jeunes s’agitent ou se mesurent. Les quelques cris poussés sont-ils d’alarme ? de faim ? simplement l’apprentissage de leur posture d’adulte ? une posture qui sera à affirmer pour survivre en milieu hostile après un départ définitif du nid.
En contrebas du chemin, une mère et sa fille se tiennent en bordure de l’étang. Ensemble, elles projettent une balle au plus loin dans la pièce d’eau. Eclatant la surface de l’eau, leur labrador s’élance alors en vue de l’objet pourchassé pour s’en saisir au plus vite. Une fois sa prise attrapée, il amorce le trajet retour mais sa respiration, entravée par l’eau comme par la balle qu’il tient fermement dans sa gueule, le transforme en un tout autre animal, croisement inédit du chien au sanglier et nous fait rêver la multitude des hybrides possibles.
Les charbonnières, scories d’une pratique disparue, composent aujourd’hui l’environnement lunaire de la forêt de Tremelin. Le vert vif des mousses les recouvrant crée la sensation d’un sol mobile, en ébullition, dans lequel nous n’avançons qu’à pas mesurés. Au loin monte progressivement la rumeur du refuge pour animaux. Traversant le chant des mésanges et des pinsons, la plainte lancinante des chiens espérant un ailleurs invite à considérer nos lectures du sauvage et du domestique.
Profitant de l’ouverture lumineuse créée par la chute d’un arbre, une strate buissonnante s’est densifiée et, entre la floraison printanière et l’apparition du soleil, attire les pollinisateurs. Abeilles, papillons, bourdons et autres insectes vrombissants circulent rapidement d’une fleur à l’autre en composant des trajets du plus court au plus complexe. Un bourdonnement plus grave que les autres attire notre attention, c’est celui d’un frelon (européen ? asiatique ? ah, européen) qui lui, ne tourne pas autour des fleurs mais plutôt autour de cette communauté de butineurs, à la recherche de celui qui lui conviendra le plus.
En se retirant, l’eau qui auparavant occupait la majeur partie de ce terrain et le rendait impénétrable a laissé derrière elle les traces de sa présence et indices d’un prochain retour. L’épaisse couche de déchets organiques qui stagnait en hiver à la surface de cette eau immobile s’est déposée sur la strate herbacée et englue aujourd’hui la végétation qui cherche à profiter d’une météo plus clémente. Comme un épais papier mâché, il se déchire sous nos pas et révèle son monde souterrain.
La pluie qui ponctue nos trajets depuis le matin se manifeste à nouveau. Nous prenons abri dans l’observatoire installé le long du cheminement. Sous le toit de tôle, le bruit de la pluie prend une toute autre dimension. Véritable caisse de résonance, les gouttes prennent ici une dimension gigantesque qui font passer une ondée pour un déluge. Vibrant à la mesure de ces percussions, le toit sonne et donne la mesure de l’averse. Concert de casseroles improvisé, serait-ce le moment de quitter les lieux ?
Trois pêcheurs ont établi leur campement au sortir du ponton. En réalité trois et demi, car un adolescent guette leurs mouvements depuis la voiture à proximité, préférant cet abri à l’instabilité du ciel. Si la plupart sont pour le moment bredouilles, l’un d’entre eux peut néanmoins se vanter d’une généreuse récolte. Après discussion il m’invite à plonger mon micro dans sa nasse. L’hydrophone se retrouve ainsi balloté, piégé au milieu de ces poissons qui le chahutent en tentant une échappée.
Nouvelle averse. Les arbres qui nous entourent deviennent autant de résonateurs et leur feuilles s’agitent sous les gouttes d’eau. Perchés sur les hautes branches comme sous le couvert arbustif, les oiseaux occupant les lieux poursuivent leur mélopée, indifférents aux mouvement du ciel. Un merle notamment déroule ses lignes mélodiques vers le lointain. Ce même lointain d’où nous percevons un meuglement manifestant la présence alentour de bétail.
Les variations mélodiques d’un merle prennent le dessus sur le pépiement généralisé et ces modulations de langage évoquent un plaisir renouvelé du matin. Un câble métallique suspendu tinte à chaque fois qu’un oiseau décide de s’y arrêter un instant.
Ce moment c’est aussi celui où l’humain réactive ses activités. La première voiture du jour traverse rapidement la route proche et et sature un instant l’espace sonore. Affirmation d’une puissance qui n’est pas uniquement acoustique dans ces milieux.
La rencontre du petit matin c’est également celle du sauvage et du domestique. Quand les pigeons ramiers, moineaux friquets et autres corneilles ou merles donnent de la voix, leurs congénères domestiques en font autant. A cette heure c’est aussi le passage du premier tracteur de la journée. Un son sourd de moteur qui signale à l’avance son arrivée prochaine et tranche dans ce spectre en dent de scie en remplissant l’espace acoustique.
Le nocturne et le diurne se rencontrent. Les jeunes effraies terminent leur cycle d’éveil quand les pinsons, mésanges, bergeronnettes et autres volatiles commencent leur journée. C’est également l’ouverture d’un appétit insatiable pour les oisillons nichés dans une anfractuosité du mur. D’un battement d’ailes, les parents s’engouffrent dans la brèche à tour de rôle dans un ballet incessant vers ces becs affamés. Un geai s’en éloigne et la ventilation automatique du bâtiment à proximité se met en marche.
les rafales de vent de cette fin de journée agitent le grand Tulipier qui trône dans l’espace enherbé. Armée de mon courage et de mes deux mains, j’y entame une ascension pour profiter davantage de ces feuilles qui claquent les unes contre les autres et teintent ce moment d’un léger clapotis. Accumulé aux mouvements des autres arbres qui se sont aussi mis en mouvement, le vent a rempli l’espace sonore d’un bruit blanc. Masquant la plupart des chants avoisinants, il nous laisse malgré tout percevoir certains d’entre eux, notamment un pic-vert bavard, et même, au lointain, quelques appels en provenance d’un élevage bovin.
Ces jeunes effraies, lorsqu’elles se déplacent, martèlent le sol de leur pattes faisant résonner le plancher en bois qui constitue leur premier espace de vie. Ces percussions inattendues au milieu de la nuit ne masquent pas le sourd vrombissement des réacteurs des avions qui continuent leur ballet dans le ciel.
Plus loin les cris de chasse de chouettes adultes révèlent des parents à l’oeuvre pour assurer l’alimentation de cette première nichée de printemps.
Statique au milieu de l’herbe, je suis au centre de la chasse nocturne des chauve-souris, sans doute des pipistrelles. Virant brusquement de bord à mon approche, j’entend (encore) leur système d’écholocation qui leur révèlent la présence de cette obstacle incongru. Quelques 12 000 Hertz qui rencontrent le cri de chasse des chouettes alentours.
Au milieu du passage entre les deux rives les écluses assurant le niveau des pièces d’eau brassent leur tonne à la seconde et occupent la totalité de l’espace acoustique sur cette portion de terrain. Si leur rayon d’action est limité à ce passage et ne révèle leur force qu’une fois arrivée à leur hauteur, ces écluses nous rappellent la puissance de ces masses d’eau d’apparence si tranquilles.
L’oreille du micro au contact du corps de l’éolienne, je tente de ne pas relever la fraicheur du vent qui traverse les superpositions de vêtements. Lorsque les vibrations combinées de l’alternateur, des pales, du vent, rencontrent les fréquence de résonance de la structure d’acier, alors celle-ci se met à chanter, à raconter les relations du gazeux et du solide dans une succession de notes tenues.
Juchée sur l’escalier qui mène à l’accès technique, je sens à travers mes pieds, mes mains, les vibrations régulières de l’éolienne. Je tente de déchiffrer le langage sibyllin de cette machinerie qui souffle en continu des signaux sur toutes les fréquences. Ici, c’est celle de 5000 Hertz qui émerge de la trappe de ventilation et prend le dessus sur les autres.
Lorsque les nuages laisse filtrer la lumière de cette fin de journée, l’ombre démesurée des pales balaie le sol et alterne le sombre et le clair. Leur sifflement nous porte depuis notre arrivée, elles tranchent l’air avec méthode, application et acharnement. La puissance de ce souffle contraste avec ce que nous avons croisé aujourd’hui et ce sont nos corps qui vacillent face à cette démesure.
Nous nous tenons au pied du mât de l’éolienne, les yeux rivés à son sommet. L’alternateur lance ce qui semble être un cycle. Du corps du mât, les vibrations issues de cette mécanique électrique résonnent dans ce tube d’acier. Le bourdonnement dans les graves monte en fréquence pour disparaitre par instant, nous laissant saisir le mouvement fracassant des pales dans cette fin de journée ventée.
Nous longeons les dunes vers le nord au rythme lancinant des vagues. Plus nous avançons vers Arzon, plus nous croisons de plagistes, planchistes ou promeneurs de tous genre. Depuis quelques temps déjà, j’entend un martèlement sourd et répété qui s’amplifie graduellement. Arrivés à la pointe des dunes, c’est bien une sono que j’entend. Une sono qui croise sans complexe la brit’pop des années 90 et la variétés française. Nous découvrons alors un club de vacances, véritable enclave (village gaulois) cernée d’une aveugle et épaisse haie de laurier où s’ébattent tous les âges, de la pétanque au basket.
Sous le couvert des arbres, les oiseaux profitent de l’éclaircie qui se maintient malgré le vent qui brassent les feuilles. Une mésange charbonnière s’est posée plus haut et chante haut. Sous cette somme de tintements aigus, un grincement ténu m’interpelle. Végétal ? Animal ? Alien ? Ce ne sont finalement que les branches des houppiers qui s’entremêlent et se frottent dans un léger balancement.
Nous traversons les dunes pour arriver sur la plage. La mer est montante et la marée presque haute. Le ressac qui nous accompagnait déjà depuis notre arrivée est sur le devant de la scène acoustique. Les allées et venues hypnotiques des vagues forment une masse sonore à la fois compacte et éparpillée sur notre spectre auditif tout en charriant algues, coquillages et crustacées.
Beaucoup de rafales durant cette matinée. Le vent s’accompagne d’une épaisse couche nuageuse nous laissant sans ombre. Sous mes pieds, la vase dans laquelle j’ai ventousé mes bottes émet un léger crépitement en relâchant ses bulles d’air. Un bateau esseulé est amarré et s’efforce de résister aux assauts des courants, qu’ils soient d’airs ou d’eaux. A chaque rafale, son anémomètre bat furieusement la cadence, ses haubans claquent joyeusement et sa coque résonne de ces mouvements contraints.
Enserrés dans un chemin entre deux haies buissonnantes, nous croisons la route d’une fourmillière. A sa surface s’agitent en tous sens des centaines de fourmis, effectuant un travail qui nous reste bien mystérieux. A peine déposés à la surface de la colonie, les micros sont recouverts par ces ouvrières acharnées qui en frappent les membranes au rythme de leurs pattes décidées.
Si jusqu’à présent c’est plutôt le vol des avions commerciaux qui ont ponctué l’environnement, nous croisons pour la première fois la route acoustique d’un avion de tourisme. Volant bien plus bas que ses confrères, le pilote doit profiter d’un horizon dégagé sur la côte et multiplie les boucles autour de la presque île.
Son moteur, plus agressif, masque la plupart des autres manifestations sonores, ne nous laissant percevoir que par instant quelques oiseaux ou encore les golfeurs à proximité.
Les chaleurs printanières ont éveillé toute un population d’insectes. En bordure d’un champ, des chapelets de stridulations successives proviennent de grandes Molènes. Même en s’en approchant à pas mesurés, la vibrations de nos pas révèle un possible prédateur et entraine l’arrêt brutal de cette trame répétitive de 4500 Hertz. Mais l’immobilité et la patience endort la méfiance de ces insectes qui se manifestent à nouveau après quelques minutes.
Après nous être dégotté une embarcation de fortune, nous entamons la traversée de la pièce d’eau. A peine embarqués nous nous retrouvons entre deux eaux, celles du ciel et celle qui s’étend de l’autre coté de la paroi en plastique du canot. Protégeant notre matériel du mieux que nous pouvons, nous attendons une accalmie. Lorsque celle-ci survient, nous dérivons lentement et profitons d’être au creux de ce grand amphithéâtre où toutes les sources sonores se brassent et se fondent. tu connais Délivrance ?
Profitant d’une anfractuosité dans un mur en pierre, un couple a installé son nid dans ce renfoncement. Accueillant aujourd’hui plusieurs oisillons, ce nid est devenu la préoccupation principale des parents qui enchainent les allers-retours pour nourrir cette loquace progéniture. Quelques semaines plus tard, après envol de ses occupants, nous constaterons que ce nid est devenu le refuge d’une colonie de frelons opportunistes. Un trafic bien important sur ce petit trou de mur.
Le jour décline peu à peu. Ramassée dans trois pulls je profite de l’humidité en provenance de la pièce d’eau. Au dessus de moi, les corneilles entament leur ballet du soir, s’invectivent, se regroupent et se séparent dans un jeu dont je ne connais pas les règles. L’acoustique de ce creux du site joue avec leurs croassements rauques et avec les ombres qui s’allongent, leur donne de faux accents hitchcokiens.
L’entrée du refuge et la cour principale d’hébergement des animaux recueillis s’ouvre sur le chemin. Alignées sur le coté et au long des murs, des boxs abritent des dizaines d’individus en attente de nouveaux foyers. La plupart d’entre eux ont accourus au grillage pour découvrir nos visages de visiteurs. Au départ relativement muets et interrogatifs face à ces nouveaux intrus, l’un d’entre eux, avec ses jappements aigus lance une première pulsation et le groupe entonnent un concert d’aboiement, emporté par ce vibraphone pour 18 musiciens.
création chorégraphique et sonore
Licence : CC-BY